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Bonjour à tous !
Voici en deux mots la situation un peu particulière dans laquelle je me trouve.
J'ai hérité en 2000 de mon père d'une petite parcelle agricole de 40 ares. J'ai passé avec l'agriculteur occupant la parcelle voisine un contrat de prêt à usage (ou "commodat"), qui a été renouvelé chaque année depuis lors. Ce contrat stipule que l'agriculteur peut occuper gratuitement mon terrain d'avril à octobre et permet ainsi d'éviter un bail à ferme (car pour qu'il y ait bail, il doit y avoir paiement). Il stipule en outre que j'ai la faculté de reprendre possession du terrain à tout moment.
Lors de la conclusion du contrat initial, l'agriculteur m'avait demandé s'il pouvait mentionner mon terrain dans sa déclaration de superficie annuelle pour les primes PAC, ce à quoi je ne me suis pas opposé. Or, suite à un arrêté du gouvernement wallon de juin 2006, il semble que si un agriculteur mentionne au moins deux années de suite un terrain dans sa déclaration de superficie, il pourrait ensuite se prévaloir du bail à ferme.
Je me trouve dès lors face à deux législations contradictoires. D'une part, en effet, en vertu de la législation régionale wallonne, l'agriculteur pourrait se prévaloir du bail à ferme sur mon terrain, alors qu'en vertu des règles du Code civil, qui est une législation nationale, l'absence de paiement exclut l'existence d'un bail.
Je me pose alors une question simple : une législation régionale a-t-elle la même force juridique qu'une législation nationale comme le Code civil ? Que se passe-t-il si une législation régionale entraîne des conséquences juridiques qui vont à l'encontre d'une législation nationale (le Code civil en l'occurrence) ? La législation nationale n'a-t-elle pas préséance sur les législations régionales ?
Quelqu'un peut-il m'éclairer à ce sujet ? Merci d'avance.
Hors ligne
Je vais tenter une réponse, en quelques lignes, sans non plus s'égarer en de vaines considérations.
Sur la question de la hiérarchie des normes, la Belgique est un état fédéral. Cela veut dire qu'il existe une entité fédérale (l'Etat national), et une série d'entités fédérées (Il y en a neuf en tout, dont les Régions et Communautés sont les plus connues).
Cette cohabitation entre différentes entités est strictement encadrée, d'une part par une série de dispositions de la Constitution elle-même, d'autre part par une série de lois dites spéciales (car généralement adoptées à des majorités renforcées et au moins une majorité dans chaque communauté linguistique).
En application de cette structure, le principe est au fond relativement simple. La Constitution prévoit que l'Etat fédéral est compétente en des matières qui lui sont attribuées, alors que les entités fédérées sont compétentes dans les matières résiduelles (donc tout le reste). La Constitution précise cependant que cette règle s'applique après entrée en vigueur d'une loi qui reste à adopter (et qui ne le sera peut-être jamais). Donc, de facto, c'est exactement l'inverse. La Constiution attribue un certain nombre de compétences aux Régions et Communautés, tandis que toutes matières qui ne sont expressément attribuées de cette manière relèvent de la compétence de l'Etat.
Bien que les normes (lois, décrets et ordonnances, bien que pour ces dernières il y a une petite astuce de contrôle de la légalité, mais passons) qui sont produites par ces différentes entités fédérale et fédérées ont la même force de loi, elles ne pourraient empiéter sur la compétence d'autrui. Pour donner un exemple parlant, la Région flamande ne pourrait pas adopter un décret en matière d'urbanisme wallon, et vice versa.
De la même manière, la compétence en matière de baux à loyer appartient, pour l'heure encore, au fédéral, en ce qu'il s'agit d'une compétence résiduelle (que le grand Arc. nous préserve de la régionalisation de la matière, mais c'est peu probable).
En conséquence, un contrat ne pourrait être qualifié de bail à ferme que dans la mesure où il répond aux exigences des dispositions du Code civil qui s'y appliquent. Tombent sous l'application de cette législation, soit les baux, soit les contrats constitutifs d'un usufruit "entre vifs par la volonté de l'homme et pour une durée déterminée".
Cette dernière qualification (usufruit) peut certainement être écartée. Quant à la première, un bail est un contrat, qui en application de l'article 1709 du Code civil, est conclu à titre onéreux, le prix devant être raisonnable (au contraire d'un vil prix).
Ce n'est pas le cas non plus, en sorte que la qualification de bail à ferme ne pourrait être retenue.
S'agissant d'une compétence fédérale, une législation wallonne, même si elle est de même niveau que la fédérale, ne pourrait changer la qualification donnée au contrat par la loi, sinon au risque d'enfreindre le principe de la répartition des compétences. Cette norme serait par conséquent inconstitutionnelle et peut, le cas échéant, soit être annulée (sur recours en annulation) par la Cour constitutionnelle, soit être rendue inapplicable à un cas particulier (sur question préjudicielle) par cette même Cour.
En outre, les parties elles-mêmes ont qualifie correctement leur contrat de commodat, dont la principale caractéristique est d'être constitué à titre gratuit. Je ne vois pas quel juge, malgré le pouvoir qui lui est donné par la Cour de cassation lorsqu'il s'agit d'apprécier la qualification d'un contrat, pourrait qualifier autrement un tel type de convention. Ici encore, la déclaration unilatérale de l'usager à l'administration, en vue d'obtenir un avantage, ne serait pas de nature à permettre de qualifier autrement la convention. N'oublions pas, qu'en application de l'article 1134 du Code civil, "Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites". Dans la limite de leur licéité, tous tiers à la convention, et l'Etat, au sens large, est tiers à ce contrat, doit respecter la volonté des parties.
J'aurais donc tendance à conclure que vous pouvez dormir sur vos deux oreilles.
P.S. : j'aime bien votre pseudonyme
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Un grand merci pour votre réponse détaillée et rassurante, Gof !
Je suis soulagé de savoir qu'un juge ne pourrait s'appuyer sur la législation wallonne pour requalifier de bail à ferme le contrat passé entre les parties, et si je vous ai bien compris, il en va donc de même pour tout autre contrat en matière de bail puisque cette matière demeure une compétence fédérale - du moins pour le moment. Un contrat ne pourrait donc être qualifié de bail à ferme que s'il répondait aux exigences que prescrit le Code civil et lui seul.
La complexification de notre Etat rend la vie de plus en plus difficile au simple citoyen, qui a de plus en plus de mal de s'y retrouver dans les différentes législations. Heureusement qu'il y a des forums comme le vôtre pour l'aider...
Gaumianicus
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Vous avez bien compris (ouf, j'ai été compréhensible), parce que :
La complexification de notre Etat rend la vie de plus en plus difficile au simple citoyen, qui a de plus en plus de mal de s'y retrouver dans les différentes législations.
Ce n'est pas que le cas pour le 'simple' citoyen, d'ailleurs ...
Demandez par exemple à Grmff ce qu'il pense des annexes au bail de résidence principale. Il est fan
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C'est quoi, une annexe au bail? J'ai jamais lu ça, moi...
Ceci étant dit, bravissimo pour votre brillante dissertation longue et précise qui met si bien en action ce que votre conclusion propose...
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Tiens, oui, c'est quoi une annexe au bail ? ...
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Pour compléter la discussion, voici le passage extrait de l'arrêté du gouvernement wallon du 22/6/2006 où il est question de bail à ferme que j'ai fini par trouver sur le site du Moniteur. L'arrêté concerne les transferts de droits au paiement unique (c'est-à-dire des primes PAC) entre des agriculteurs. Un des attendus dit ceci :
"Considérant que, dans le cadre des demandes de transferts de droits au paiement unique, la preuve de l'existence d'un bail peut être fournie par toutes voies de droit, témoins et présomptions compris et que, de ce fait, l'occupation des terres telle que déclarée par les agriculteurs cédants dans leur déclaration de superficie, au moins deux années sur les trois années précédant un transfert de tout ou partie des terres de l'exploitation, constitue une présomption de l'occupation préalable de ces terres par l'agriculteur cédant concerné..."
D'autres attendus suivent, sans rapport avec le bail à ferme.
J'avoue avoir du mal à bien saisir la signification et la portée exactes de cette phrase, mais quoi qu'il en soit, ce texte serait donc sans pertinence pour déterminer si un contrat doit ou non être qualifié de bail à ferme puisque les régions n'ont pas compétence en cette matière.
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