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Vous l'attendiez tous: le Conte de Noël!
Il était une fois, un pauvre locataire handicapé mental, André, qui occupait un studio.
Locataire depuis des années, avec un loyer payé rubis sur l'ongle par son avocat administrateur de bien, il faut reconnaître que son histoire est bien triste, et qu'il vit un drame de la solitude et de l'ennui. Et quand on s'ennuie, on boit. Et quand on boit, on se fait des amis qu'on ne devrait pas se faire, parce qu'ils vous entraînent sur une bien mauvaise pente. Tarte à la crême comme réflexion? Sans doute. Mais c'est tellement vrai.
André rendait de menu service. Gratuitement. Volontairement. Pour tuer son ennui. Pour se rendre utile. Pour faire quelque chose et démontrer qu'il peut rendre service et faire des choses. A sa famille. A ses amis. A son propriétaire. Il ne sait pas lire, pas écrire. Quand il parle, on a du mal à le comprendre. Mais malgré tout cela, il est en autonomie depuis plus de 10 ans. Quand il n'a pas bu, c'est un bon gars, toujours prêt à rendre service.
Le drame de la boisson, c'est qu'on y fait passer tous ses sous. Alors, l'administrateur de bien a décidé de payer André "à la semaine", pour protéger André. L'administrateur de bien, comme son nom ne l'indique pas, administre LES biens de la personne, et ses intérêts légaux et financiers. En clair, il paye le loyer, alimente le compte personnel de l'administré pour ses dépenses, paye éventuellement des dépenses extraordinaires nécessaires, gère la relation avec les organismes payeurs, etc.
Mais l'Administrateur de Bien n'administre pas le bien de son administré., comme on administre une purge pour se sentir mieux. Il ne s'occupe pas du bonheur de la personne. Et heureusement, parce qu'on ne trouverait plus personne pour faire ce job bien ingrat.
Alors, André est payé de sa semaine le jeudi. Dès 6h du matin le jeudi, il va retirer tout ce qu'il peut retirer, et le boit. Il rentre fin de matinée, pas très droit. S'affale devant la porte de l'immeuble. Mort bourré. Incapable de sortir la clé de sa poche. Ou dans l'immeuble, à un étage indéterminé.
Au début, cela arrivait une fois par-ci par-là. De loin en loin. Et que le premier qui n'a jamais pris une bonne torchée lui jette la première bière.
Malheureusement, cela n'a fait qu'augmenter. Jusqu'à être deux fois par mois. Puis toutes les semaines. Puis avec de l'agressivité quand, un peu énervé, on lui demande de rentrer chez lui. Finalement, des couteaux sont sortis. Des coup sont lancés (dans le vide...)
On s'est alors rendu compte que André s'était affalé aussi en rue. S'était embroché, ou s'était fait embroché. Avait subi des opérations pour le remettre sur pied. Avait une cicatrice de 40cm sur le flanc gauche suite à cet embrochage. Qu'il revenait souvent avec des coups et des bosses... Bref, bien triste.
Les autres jours, il s'excuse, promet que ce serait fini, dit qu'il ne veut plus voir Untel qui le pousse à boire, etc. Quand on insiste un peu, il parle de se foutre au canal, ou qu'il s'en fout, ou qu'il va partir, ou qu'il va se débarrasser de son avocat pour avoir tous ses sous, etc.
L'administrateur de bien, bien impuissant, ne peut pas faire grand chose. Le propriétaire non plus. Quand ils se sont rendu compte qu'André dormait sur sa table et n'avait plus de matelas, ni de lit, le propriétaire a été cherché un matelas, des draps un sommier, etc. Pour que André dorme correctement. Parce quand on ne dort pas, on se réveille à 6h et on va boire... 15 jours plus tard, plus de matelas. Il avait du pisser dedans, ou se le faire piquer par une de ses connaissances.
Après les dernières violences, le propriétaire a décidé qu'il ne voulait pas voir mourir André sans rien faire. Pas chez lui. Le propriétaire n'a pas de possibilité d'agir. Vous vous souviendrez de l'histoire du Mangeur de Nutella. L'histoire a quelques similarité.
Le propriétaire n'a donc pas hésité: requête en expulsion pour occupation pas en bon père de famille. Le courrier de convocation, que André a reçu aussi, l'a bien secoué. Il se voyait en prison. Privé de cette liberté totale dont il jouit depuis plus de 10 ans. Propriétaire et locataire sont donc allé à l'audience, bons copains malgré la requête. Je vous dis, André est charmant quand il n'a pas bu. Je dis pas je partirais en voyage d'agrément avec lui, mais franchement, il est correct.
Audience de fin d'année. Avec uniquement des cas qu'on a pas pu reporter. Il n'y a donc personne où presque. L'administrateur de bien de André est en retard, et le cas est appelé en dernier. Dans la salle, André, tout penaud, un ami de André, son avocat, le propriétaire, le juge et la greffière.
C'est somme toute un cas simple, et compliqué à la fois. Peut-on traiter un tel cas en une audience? Qu'est-il possible de faire, dans l'accord de tous?
Le juge lit la requête, qui contient en substance ce que vous venez de lire.
Le juge: "Oui, comme d'habitude, c'est long avec Mr le propriétaire. L'air de dire, avec quoi il vient encore...
On donne la parole au propriétaire:
André pose des problème...bla-bla boisson... bla-bla couteau... bla-bla danger pour lui et pour les autres occupants... bla-bla le propriétaire n'a aucun moyen d'action autre que celui-là... bla-bla dans un autre cas le juge avait pris les choses en main... bla-bla forcer à se soigner...
L'avocat confirme tout, et est bien d'accord avec le propriétaire. Il dit aussi qu'il ne peut pas faire une demande de "mise en observation en hopital psychiatrique" (= collocation = mise à l'asile) uniquement sur base de l'alcoolisme, parce que tout le monde sait que ce n'est pas une raison suffisante pour une mise en observation et qu'il serait relaché immédiatement.
Le juge, étonné tout de même que propriétaire et avocat tire à la corde dans le même sens, se tourne vers André, tout penaud. André dit qu'il voudrait se faire soigner à Manage.
Le juge dit que s'il ne se fait pas soigner, il se retrouvera à la rue. Il dit, comme le juge précédent l'avait fait dans le cas du mangeur de Nutella, que s'il se met en danger, il y a matière à demander une mise en observation.
Finalement, le juge ne remet pas de jugement formel. Il reporte l'affaire à deux mois. On pourrait se dire "zut, le propriétaire l'a dans l'os, le juge n'a rien fait, et rien ne va se passer." Mais c'est là que réside la magie de Noël. Bien qu'il n'y aura pas de jugement, le juge rajoute que, s'il ne s'est pas fait soigné solidement, ou si il y a un autre épisode, la prochaine audience sera pour l'expulsion. Le juge a donc pris son rôle de Juge de Paix, en ramenant la paix dans un esprit égaré. L'administrateur de bien aussi. Et le propriétaire, bien que ce ne soit pas son rôle, a probablement sauvé la vie de André, qui a avoué qu'il buvait le jeudi, et ne mangeait rien depuis des semaines.
Après l'audience, rendez-vous est pris entre André et son propriétaire pour aller à 16h chez le médecin. A 15h, André est au pied de l'immeuble, avec ses bagages. Il montre sa provision de tabac: "Les premiers jours, je ne pourrai pas sortir, j'ai fait ma provision". L'espoir est là: il se met dans les conditions pour faire ce qu'il faut pour se sortir de là où il est tombé.
André, guidé par son propriétaire, a été chez son médecin. Le propriétaire, bien connu de nom par le médecin, explique l'audience et le souhait de André. André a tout confirmé. Le médecin, devant le propriétaire a posé les bonnes questions à André, qui a tout confirmé. Le médecin a donc fait une note pour que André puisse être pris en soin en urgence.
Il reste à savoir où, quand, comment. André voulait aller à Manage (St Bernard) parce qu'il y avait déjà été il y a 20 ans, et qu'il avait de bon souvenir. Le propriétaire a donc fait taxi pour André jusque Manage, avec ses bagages. Mais St Bernard n'est pas un hôpital normal, avec des urgence. Il n'y a pas d'admission d'urgence... Et comme c'est la semaine de Noël, beaucoup de médecins sont absents, et les autres surchargés. Et en plus, ils sont plein, il n'y a plus de place pour l'instant. Coup dans l'eau, donc.
Retour donc pour une nuit chez lui. Sans espoir pour le lendemain. Peu de chance même pour une consultation. Et même s'il y a une consultation, quand pourra-il être admis? Aura-t-il changé d'avis d'ici-là? Sans matelas, André va dormir une nuit de plus sur son sommier, ou par terre, on ne sait pas... Et demain, aura-t-il changé d'avis? Tadammm... une longue nuit de suspens...
9h, mercredi matin. Le propriétaire téléphone à St Bernard, pour un rendez-vous pour une consultation. "Retéléphonez à 13H30"
9h30: Le propriétaire sonné André, explique la situation à André qui est tout à fait clair. Rendez-vous à 13H pour aller à Manage et faire une peu de forcing. SI ce n'est pas Manage, ce sera Tivoli aux Urgences.
12h : Le propriétaire vient de loin et démarre de chez lui
12H30: L'avocat téléphone au propriétaire. "André était avec Untel (celui qui le pousse à boire) à 11H30, refuse de se faire soigner, va chercher une maison, va faire dégager tout le monde" S'il a effectivement bu, c'est pas bon signe. S'il était avec Untel, c'est pas bon non plus. Gardons espoir en me disant que s'il a pu avoir un discours aussi construit, c'est peut-être qu'il n'avait pas bu tant que cela.
13H: Personne chez André. Pas de réponse au téléphone. Rondidjudebrdldemrde !
13H05: Pas de réponse. Mais son gsm est allumé.
13H10: Il répond. Il est là. Il est prêt. C'est à n'y rien comprendre, mais il est là, clair, net, avec ses bagages. Miracle de Noël?
13H20: Le propriétaire taxi sonne les consultations de St Bernard, de sa voiture, en route vers Manage. Le docteur n'est pas encore là, il resonnera... T'as vu ça d'ici. On est en route, on va se mettre dans la salle d'attente jusqu'à être reçu. Il faut se préparer à une longue attente...
13H35: Arrivée aux consultations de Manage. Le gars n'en revient pas trop. Le propriétaire explique qu'il vient d'assez loin et donc qu'il va s'installer et attendre le temps qu'il faudra. Et que sinon, il ira à Tivoli.
13H36: le docteur reçoit André et son propriétaire.
13H37: André est admissible
13H38: il y a de la place pour André.
13H45: André et son propriétaire sortent de la consultation. En arrivant, il n'y avait personne. Dans le cabinet du docteur, ils ont été reçu immédiatement, et tout a été fait comme si le docteur n'avait rien à faire d'autre. En sortant, il y avait au moins 50 personnes qui attendaient que le docteur les reçoivent pour la consultation qu'ils avaient réservé depuis longtemps. En clair, André a été vu avant tout le monde. Et c'est peut-être pour cela qu'il a eu une place tout de suite. Miracle de Noël, que je vous dis....
André est donc maintenant en de bonnes mains. Il est arrivé aussi loin qu'il pouvait au jour d'aujourd'hui. Le reste du miracle est entre ses mains.
Joyeux Noël à tous.
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Vous êtes décidément quelqu'un de particulier.
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Bravo à vous. Il faut être quelqu'un de bien pour faire tout ça.
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Touchée par cette belle solidarité, quel humanisme !!!! Merci ...
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André est resté quelques jours. Il a repris du poids. Il était heureux. Il était sur une bonne voie, disait-il à tout qui veut bien l'entendre. Puis, un samedi, il a dit qu'il sortait le lundi.
Noël est fini. Le miracle de Noël n'aura pas tenu bien longtemps. Le lundi, les services sociaux appellent pour demander si on sait où est passé André. Parce qu'il a fait ses valises, est parti sans prévenir ni dire au revoir. De manière non prévue...
André est rentré chez lui. Il est guéri pense-t-il. Que s'est-i passé exactement? Difficile à dire. Pour certains, une entrevue avec le service social ne se serait pas bien passée. Pour d'autres, il n'accepte pas l'idée de devoir intégrer un logement supervisé. Pour André en tout cas, le médecin l'a déclaré guéri.
Difficile de savoir exactement le pourquoi du comment. L'avocat, le médecin, le service social... tous se retranchent derrière le secret médical. Mais ils n'on tpas l'air de se parler ni de se tracasser plus que cela de la situation de André. Parce qu'il est guéri? Non sûrement pas. On a tout de même entendu des phrases du style "Oui-oui, on a pu constater que André avait des absences, avait été retrouvé hagard rodant dans les couloirs sans savoir où ils se trouve" Et aussi "il n'est plus capable de vivre en autonomie et on lui a proposé un logement supervisé"
Noël est fini. André se voit à la rue. Il aurait voulu retourner à Manage, dit-il, mais on lui a refuser un lit sous le prétexte qu'il est guéri.
Alors André cherche un nouveau logement, sans beaucoup de support de son avocat dont ce n'est pas le rôle. Sans support des services sociaux puisqu'il les a tous refusés (Y compris un service d'accompagnement en autonomie proposé par le service social de Manage) Sans beaucoup d'espoir.
Il cherche aussi une maison de repos. Mais comme il ne sait pas lire, pas s'exprimer au téléphone correctement, et pas conduire, il a été en voir 2 en tout et pour tout en 15 jours. De toute façon, quelle maison de repos va accepter un "jeune" de 57 ans?
Voyant que toutes les portes se refermaient, André a fait une tentative de suicide. Il a commencé à avaler des médocs, l'ambulance est arrivée, l'a emmené à l'hopital. Quelques heures plus tard, il était dehors. Guéri, je suppose.
Noël est fini. Il pleut. Je déprime à l'idée de me dire que les plus faibles d'entre nous, les handicapés, les drogués, les malades mentaux, sont jetés à la rue sans aucun soutien parce que la Belgique est un pays où on respecte la liberté. Liberté de crever dans la rue, oui. Liberté d'être abandonné de tous.
Est-ce réellement protéger les personnes qui en ont besoin que de se retrouver dans l'impossibilité légale de forcer quelqu'un à se soigner?
Vivement Pâques. C'est la fête des cloches...
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